L'anxiété et moi
par Benoit, 2013-06-26

Ceci est mon coming-out: je vis avec l’anxiété chronique. Heureusement, je commence à la contrôler.

La soupe aux grenouilles

Cette métaphore tirée de The Pragmatic Programmer illustre parfaitement comment une maladie mentale influence la vie. Comment fait-on de la soupe aux grenouilles? Certains diront que ça marche comme le homard: on fait bouillir de l’eau et on y met les grenouilles. Eh! bien, non: au contraire des lourds crustacés, les grenouilles sautent hors de la marmite et s’en tirent avec quelques brûlures et une bonne frousse.

Non, on fait de la soupe en faisant d’abord un gentil étang: une marmite d’eau fraîche avec des carottes et du céleri en guise de nénuphars. On y dépose les grenouilles, qui ne révèlent alors aucune velléité d’évasion. Puis on commence à cuire à feu doux. La température de l’eau augmente lentement, tant et si bien que les grenouilles ne se rendent pas compte du dangereux changement… jusqu’à ce qu’elles soient cuites.

Un type vit sa vie avec quelques mauvaises pistes pour évaluer sa propre valeur. Il suit néanmoins ces pistes, persuadé qu’elles sont bonnes, faute d’en connaître de meilleures. Ces fausses routes s’allongent, le but ne se rapproche pas malgré la marche forcée, malgré les années d’efforts. Le voyage était censé être agréable, mais il ne l’est pas. Le type prend de mauvaises habitudes: il ne dort pas assez, il se cache pour manger des cochonneries. Il a régulièrement des épisodes d’humeur instable, où il est morose et bougon avec les personnes qu’il aime le plus. Il remet en question ses meilleures qualités et ses plus grandes habiletés, espérant trouver autre chose à faire de sa vie, quelque chose de moins stressant? plus concret? moins vide?

Plus gras. Plus fatigué. Plus triste. Plus stressé. Moins heureux. while(1).

Briser le cycle

J’ai commencé à sortir de ce cercle vicieux lorsque j’ai abandonné mon stage post-doctoral pour prendre l’emploi offert chez Arcadia Labs. En travaillant de la maison tous les jours, je n’étais soudainement plus obligé de voyager l’aller-retour de Drummondville à Montréal deux ou trois fois par semaine, ce qui m’a donné plusieurs heures de temps libre. J’ai commencé à prendre des marches régulières et, ne passant plus l’heure du souper en train et en voiture, j’ai arrêté les collations questionables de fin de journée. J’ai retrouvé le plaisir de programmer quelque chose de différent et le feedback positif sur mon travail m’a fait commencer à reprendre confiance en mes capacités professionnelles.

Les deux années qui ont suivi ont cependant été parsemées de longs moments de doute de mes compétences de programmeur, de père, de mari. Ces épisodes étaient marqués par la déprime, le ressentiment, l’humeur houleuse, le perfectionnisme obsessif, le ressassement compulsif des discussions passées et l’appréhension des conversations à venir. Puis, il y a quelques mois, je suis tombé par hasard sur quelques articles portant sur la santé mentale (désolé, je n’ai pas gardé les liens). En particulier, j’ai lu un papier d’un professeur d’université qui énumérait ses propres symptômes, qui ressemblent à ce que je viens de décrire. Ce type souffre d’anxiété — et j’ai finalement réalisé que moi aussi.

J’insiste sur le fait que je n’étais pas en mesure de réaliser cet état de fait plus tôt. À l’automne 2011, durant un examen de routine, mon médecin de famille suggérait que je puisse souffrir d’une certaine forme d’anxiété, mais j’avais réagi négativement, suggérant que j’allais bien. Alors que c’est généralement facile de réaliser qu’on est malade, c’est tout le contraire lorsqu’il s’agit d’une maladie mentale. Il m’a fallu progresser à mon insu vers le retour à la santé pour me rendre compte de ma propre condition et prendre délibérément les moyens de l’améliorer.

Prendre le contrôle

J’ai donc reparlé de tout ceci avec mon médecin et nous avons convenu que la médication n’est pas indiquée pour le moment. J’ai plutôt entrepris une thérapie avec une psychologue. Nous prenons une approche cognitivo-comportementale, qui repose sur la théorie que la pensée, l’émotion et la réaction sont liées dans un cycle. On souffre lorsque ce cycle engendre et amplifie des émotions négatives, on brise le cycle en changeant les pensées irrationnelles qui causent ces émotions. Je trouve du réconfort et des trucs solides en lisant Feeling Good, de David Burns, l’un des psychiâtres à l’origine de cette approche.

Je me rends compte qu’une large part de mon anxiété est liée au fait que mon estime de moi-même est mal fondée. Trop longtemps, j’ai considéré que j’étais dénué de valeur si je n’atteignais pas mes objectifs professionnels, si mes enfants ne m’obéissaient pas, si je n’arrivais pas à perdre du poids, si j’étais en retard à un rendez-vous, si je n’étais pas apprécié en toute circonstance et à tout moment… Évidemment, si toutes ces choses étaient des miroirs propres à me renvoyer une vilaine image de moi-même, je recevais ce feedback négatif plusieurs fois par jour, tous les jours.

Je suis donc dans le processus d’établir plutôt ma valeur comme intrinsèque au fait que je suis vivant et présent. Ce n’est pas intuitif ni évident. Cependant, les progrès que je fais en ce sens m’apportent une énergie fantastique, qui remplace la lassitude et le doute de moi-même. Je redécouvre notamment le plaisir d’apprendre de nouvelles choses — il m’était devenu angoissant d’apprendre, car il me fallait alors reconnaître que j’avais été jusqu’alors ignorant du sujet. J’arrive à réaliser plusieurs projets qui m’avaient échappé jusqu’ici, du fait d’aborder les difficultés avec enthousiasme et volonté plutôt qu’appréhension et découragement.

Mon humble opinion est que cette anxiété avec laquelle je vis ressemble davantage à l’asthme qu’à une pneumonie: je peux la contrôler de diverses manières, dans la mesure du possible, mais pas en guérir complètement. J’aurai vraisemblablement de nouvelles crises, d’autres moments de doute obsessionnel et paralysant. Je me sens cependant mieux outillé pour reconnaître ces situations et pour en rechercher l’issue.

Hop! hors de la marmite je saute. Juste à temps.

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